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Juridique

La convention de quasi-usufruit

Le 08 Septembre 2025
La convention de quasi-usufruit

L'usufruit des choses consomptibles, c'est-à-dire des choses qui s'épuisent dès le premier usage, à l'instar de l'argent, des grains et des liqueurs, est appelé "quasi-usufruit". Défini par l'article 587 du Code civil, il repose sur le principe qu'un tel usage crée à l'égard de l'usufruitier une obligation de restitution de son équivalent, en nature ou en valeur, au profit du nu-propriétaire. L'usufruitier devient, à l'extinction, débiteur d'une dette de restitution à l'égard du nu-propriétaire.

 

                    Le quasi-usufruit trouve sa source dans la loi ou dans un contrat et notamment dans la convention de quasi-usufruit. Il s'éteint soit par l'arrivée du terme pour lequel il a été constitué, qu'il soit viager ou temporaire, soit par la renonciation du titulaire, ou encore, s'agissant du quasi-usufruit exercé par le conjoint survivant, par la conversion en rente viagère ou en capital (article 759 du Code civil).

 

                    En pratique, la convention de quasi-usufruit permet de :

                    - Reconnaître et gérer un quasi-usufruit légal dont serait par exemple titulaire le conjoint survivant ou le bénéficiaire de l'usufruit de capitaux, par suite du dénouement d'un contrat d'assurance-vie dont la clause bénéficiaire était démembrée ;

                    - Constituer un quasi-usufruit sur des biens qui, non consomptibles, ne répondent pas à la définition de l'article 587. Il est admis que l'on puisse étendre conventionnellement le quasi-usufruit à des choses fongibles, c'est-à-dire des biens dont la nature peut être échangée, tels que les valeurs mobilières.

                    A propos d'un portefeuille de valeurs mobilières, la jurisprudence a précisé qu'il constitue une universalité susceptible de faire l'objet d'un quasi-usufruit conventionnel dans la mesure où l'usufruitier peut aliéner les titres compris dans le portefeuille à condition de les remplacer et sans jamais compromettre l'existence du portefeuille (Cass. 1ère civ., 12 novembre 1998, n°96-18.041, dit "arrêt Baylet").

                    S'agissant des cryptoactifs, si la jurisprudence semble considérer qu'ils sont des choses consomptibles et fongibles (Tribunal de commerce de Nanterre, 6ème chambre, 26 février 2020), susceptibles de faire l'objet d'un quasi-usufruit en vertu de l'article 587, la doctrine estime que la solution de l'arrêt Baylet devrait s'appliquer à un portefeuille de cryptoactifs en tant qu'universalité de fait et qu'une convention de quasi-usufruit devrait être conclue[1];

                    - Tirer les conséquences d'une opération de transmission en démembrement de propriété donnant naissance à un quasi-usufruit et organiser les relations de chacun (donation avec réserve de quasi-usufruit, vente).

 

                    La convention de quasi-usufruit est un outil au service du droit patrimonial de la famille, éprouvé par les notaires et qui fera d'ailleurs l'objet d'une réflexion à l'occasion du 121ème Congrès des Notaires, dédié à la créativité notariale en droit de la famille, qui se tiendra à Montpellier, du 24 au 26 septembre 2025.

 

                    Elle peut être conclue par acte authentique ou par acte sous seing privé enregistré afin de lui conférer date certaine. Au demeurant, la régularisation d'un acte authentique présente des avantages. La jurisprudence rappelle qu'en vertu de l'article L. 20 du Livre des procédures fiscales, l'existence d'une dette de restitution constatée par un acte authentique ne peut être remise en cause par l'administration fiscale que dans le cadre d'une procédure d'inscription en faux (Cass. com. 12 mars 2025, n°23-21.706).

                    La conclusion d'un acte authentique permet également de déduire au passif de la déclaration de succession de l'usufruitier, outre la dette de restitution, le complément constitué par l'indexation de la créance, lorsqu'une telle clause a été stipulée. Cette solution est incertaine s'agissant d'une convention conclue sous seing privé.

                    Enfin, l'acte authentique permet l'inscription de la convention au Fichier Central des Dispositions de Dernières Volontés.

                   

                    La convention doit faire l'objet d'une rédaction attentive et adaptée à chaque situation. Alors que le décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 n'en fait pas mention, la doctrine estime qu'il s'agit d'un acte de disposition, compte tenu à la fois de la reconnaissance de dette stipulée, des pouvoirs élargis dont dispose l'usufruitier et de la latitude laissée par le législateur pour organiser les relations entre usufruitier et nu-propriétaire. En présence d'un mineur et particulièrement d'un majeur faisant l'objet d'une mesure de protection, il conviendra alors de déterminer, selon le contenu de la convention, si l'individu usufruitier ou nu-propriétaire est en mesure d'agir seul, accompagné ou s'il doit être représenté, et le cas échéant s'il doit préalablement être autorisé par le juge des tutelles.

 

                    Afin de protéger le nu-propriétaire et de garantir tant l'obligation pour le quasi-usufruitier de conserver la substance des biens soumis à quasi-usufruit que le recouvrement de la dette de restitution, le Code civil prévoit différents mécanismes, à défaut de convention contraire des parties, tels que l'inventaire, le cautionnement ou encore l'obligation d'emploi, repris respectivement aux articles 600, 601 et 602 dudit Code. Ces articles s'appliquent au quasi-usufruit légal. Par conséquent, s'agissant d'un quasi-usufruit conventionnel, la convention de quasi-usufruit est essentielle afin de prévoir l'application de ces mécanismes. Elle permet alors de moduler le niveau de protection du nu-propriétaire et corrélativement les obligations de l'usufruitier à son égard.

 

                    Ainsi, la convention de quasi-usufruit peut dispenser l'usufruitier de fournir un inventaire des biens soumis à quasi-usufruit préalablement à son entrée en jouissance. Cette clause est souvent stipulée en l'absence de dissensions familiales. En revanche, si les conditions de naissance du démembrement ne permettent pas de connaître la consistance des biens soumis à quasi-usufruit comme dans le cadre du règlement d'une succession, à l'instar de la déclaration de succession, et selon le climat familial, l'obligation d'inventaire conserve un intérêt pour le nu-propriétaire, non héritier, qui devra être averti par le notaire rédacteur des conséquences d'une telle dispense.

                    L'obligation d'inventaire pourrait même être étendue à l'inventaire du patrimoine de l'usufruitier et faire l'objet d'une actualisation annuelle ou à toute autre échéance convenue, afin que le nu-propriétaire puisse apprécier le patrimoine de l'usufruitier et ses chances de recouvrer sa créance.

                    En outre, la convention peut organiser le système de garantie offert par l'usufruitier. S'agissant de l'obligation pour l'usufruitier de fournir caution, la convention peut l'en dispenser ou encore, prévoir la fourniture d'une sûreté réelle, par application de l'article 2301 alinéa 3 du Code civil. La convention pourrait par conséquent prévoir une inscription hypothécaire ou encore le nantissement d'un contrat de capitalisation ou d'assurance-vie. L'on pourrait également stipuler que la fourniture d'une garantie sera nécessaire à première demande du nu-propriétaire, notamment lorsque la consistance du patrimoine de l'usufruitier, après inventaire, le justifiera.

                    La convention peut également organiser les modalités d'emploi, c'est-à-dire de réinvestissement, des biens soumis à quasi-usufruit, notamment en l'absence de dispense de caution ou dans le cas où l'usufruitier serait dans l'impossibilité d'en fournir une (article 602 du Code civil). Toutefois, le rédacteur gardera à l'esprit que la dispense de caution prive le nu-propriétaire de la faculté qui lui est offerte par l'article 602 du Code civil de demander l'emploi des biens soumis à quasi-usufruit.

 

                    Enfin, la convention doit envisager les modalités d'évaluation de la créance de restitution. Le montant de la créance peut faire l'objet d'aménagements conventionnels entre les parties. Par exemple, il est courant que les frais d'obsèques et les frais de la succession soient réglés en totalité par le conjoint survivant usufruitier, auquel cas la convention peut prévoir qu'ils viennent en déduction du montant de la créance.

                    La convention peut également inclure un système de réévaluation de la créance, soit par le biais d'une clause d'indexation conforme aux dispositions de l'article L. 112-2 du Code monétaire et financier, qui permet d'indexer le montant de la créance à un indice de référence adéquat selon la nature des biens objet du quasi-usufruit, afin de tenir compte de l'érosion monétaire, soit en stipulant qu'en cas d'emploi des sommes soumises à quasi-usufruit, la créance sera réévaluée selon la valeur des droits acquis par subrogation, avec fixation d'une valeur plancher, ce afin de tenir compte de la plus-value acquise.

                    L'on peut aussi définir le délai dans lequel le paiement de la créance de restitution devra intervenir. En pratique, un délai de six mois à compter du décès est souvent convenu.

 

                    La loi de finances pour 2024, introduisant l'article 774 bis au sein du Code général des impôts, a néanmoins remis en cause son intérêt fiscal, appelant les praticiens à la plus grande prudence.  

                    S'agissant du quasi-usufruit conventionnel, l'article 773 2° du même code conditionnait jusqu'alors la déductibilité de la dette de restitution du passif de succession de l'usufruitier par la justification d'une convention constatée par un acte authentique ou par un acte sous seing privé enregistré, lorsque le nu-propriétaire a également la qualité d'héritier ou de personne interposée.

                    Par conséquent, lorsque le quasi-usufruit est d'origine légale ou qu'il tire son existence d'une convention constatée par acte authentique ou dûment enregistrée, la dette de restitution due par l'usufruitier est déductible de sa succession sur le fondement de l'article 768 du Code général des impôts.

                   

                    Concernant les successions ouvertes depuis le 29 décembre 2023, l'article 774 bis I alinéa 1er restreint davantage les hypothèses de déductibilité de la dette de restitution, en disposant que "ne sont pas déductibles de l'actif successoral les dettes de restitution exigibles qui portent sur une somme d'argent dont le défunt s'était réservé l'usufruit". Le nu-propriétaire est alors taxé aux droits de mutation à titre gratuit, selon son lien de parenté avec l'usufruitier, à concurrence du montant de la créance de restitution.

                    En revanche, la déductibilité de la créance de restitution trouvant son origine dans un quasi-usufruit légal n'est pas remise en cause. Ainsi, cet article ne s'applique pas à la dette de restitution de l'usufruitier des capitaux-décès perçus au titre du démembrement de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie, dans la mesure où l'usufruit réservé procède de la stipulation pour autrui.

                    Au surplus, en cas de constitution d'un quasi-usufruit sur le prix de cession d'un bien, afin que la dette de restitution soit déduite du passif successoral, l'héritier devra démontrer que la dette n'a pas été souscrite dans un "objectif principalement fiscal". L'administration fiscale précise à ce sujet que l'absence d'objectif principalement fiscal peut résulter d'un faisceau d'indices tenant compte du temps écoulé entre le démembrement et la cession, des motivations patrimoniales et du degré de latitude de l'usufruitier à décider du report de l'usufruit sur le prix. Le notaire devra informer ses clients des risques encourus et de l'importance de se préconstituer la preuve de l'utilité de l'opération pour l'usufruitier, par exemple pour des nécessités d'hébergement ou de maintien à domicile.

 

[1] M. DADOIT et B. THOUMY, Crypto-actifs - Les spécificités liées à la transmission des crypto-actifs, Actes pratiques et stratégie patrimoniale n°2, avril-mai-juin 2025, dossier 13.



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