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Juridique

Le droit de préemption du locataire commercial ou artisanal

Le 30 Juillet 2025
Le droit de préemption du locataire commercial ou artisanal

Institué par la loi n°2014-626 du 18 juin 2014, dite loi « Pinel », le droit de préemption du locataire commercial ou artisanal est codifié à l’article L. 145-46-1 du Code de commerce. Le propriétaire qui souhaite vendre le local loué doit satisfaire la formalité de notification d’une offre de vente au preneur, dès que les conditions d’application du texte sont réunies, et ce à peine de nullité de la vente. Le dispositif de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce est d’ordre public (Cass. 3ème civ. 28 juin 2018, n°17.14.605).

 

Avant de purger le droit de préemption, il faut au préalable s’assurer que les conditions de son application sont réunies. Le notaire, dans le cadre de son devoir de conseil, doit avertir son client, propriétaire, qu’il doit vérifier en amont la réunion des conditions ouvrant droit au locataire à préemption avant toute purge. En effet, la vente trouvant son origine dans l’acceptation par le locataire d’une offre de vente indument notifiée par le propriétaire, croyant que son locataire bénéficiait du droit de préemption, encourt l’annulation sur le fondement de l’erreur vice du consentement (Cass. 3ème civ. 20 octobre 2010, n°09-66.113).

 

Les conditions d’application du droit de préemption tiennent, savoir :

  • A la qualité du locataire ;
  • A l’opération envisagée ;
  • Au bien cédé.

 

S’agissant du locataire, il importe peu qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale. L’exercice du droit de préemption n’est pas non plus conditionné à une durée minimale d’occupation des locaux loués. Il faut en revanche que le bail existe et qu’il soit en cours, qu’il s’agisse du bail initial, prolongé ou renouvelé. Afin que le locataire puisse se prévaloir du droit de préemption, il faut néanmoins que le bail conclu relève du statut des baux commerciaux. Sont par conséquent exclus les baux dérogatoires visés par l’article L. 145-5 du Code de commerce et la convention d’occupation précaire visée par l’article L. 145-5-1 du même code.

 

En cas de sous-location du local loué, laquelle est par principe interdite sauf stipulation contraire ou accord du bailleur (article L. 145-31 alinéa 1er du Code de commerce), le droit de préemption ne bénéficie pas au sous-locataire dans la mesure où l’article L. 145-46-1 est d’interprétation stricte et ne vise que le locataire principal.

 

Concernant ensuite le bien cédé, l’article L. 145-46-1 dispose que la vente doit porter sur un « local » dont l’usage, par référence à la clause de destination contenue dans le bail, doit être commercial ou artisanal exclusivement.

 

S’agissant enfin des opérations ouvrant droit à préemption pour le locataire, l’article L. 145-46-1 vise l’hypothèse de la vente par le propriétaire du local loué. Cette disposition doit-elle s’étendre de façon plus générale aux aliénations à titre onéreux (échange, apport) ? Non, l’article L. 145-46-1 est d’interprétation stricte. Il faut entendre par ce terme toutes les ventes amiables. Sont par conséquent exclues du dispositif les autres aliénations à titre onéreux, ainsi que les aliénations à titre gratuit et les opérations de partage.

 

L’article précité énumère les opérations excluant le droit de préemption du locataire. Il s’agit de :

  • La cession unique de plusieurs locaux d’un ensemble commercial ;
  • La cession unique de plusieurs locaux commerciaux distincts ;
  • La cession du local commercial au copropriétaire d’un ensemble commercial ;
  • La cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux. Par deux arrêts rendus par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation, en date du 19 juin 2025 (Cass. 3ème, 19 juin 2025, n°23-19.292), les juges ont précisé que la cession d’un immeuble comprenant un seul local loué excluait le droit de préemption du preneur.
  • La cession d’un local au conjoint du bailleur, à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint.

 

Enfin, le droit de préemption est également exclu pour le cas où le titulaire du droit de préemption urbain ou le titulaire du droit de préemption institué dans le cadre d’une ZAD l’exercerait prioritairement.

 

Dès lors que les conditions de son application sont réunies, le droit de préemption du locataire peut être mis en œuvre par le propriétaire. La mise en œuvre se matérialise par la notification au locataire, soit par LRAR soit par remise en main propre contre récépissé ou émargement, d’une offre de vente qui doit contenir à peine de nullité de la notification, le prix et les conditions de la vente envisagée. Le montant de la commission de l’agence immobilière mandatée par le vendeur ne peut être imputé au locataire bénéficiaire du droit de préemption (Cass. 3ème civ. 28 juin 2018, n°17-14-605). La notification doit également comporter, à peine de nullité, la reproduction des quatre premiers alinéas de l’article L. 145-46-1.

 

Si le bail est consenti à plusieurs personnes, la notification doit être adressée à chacun. Si le locataire est marié, alors la notification doit être faite aux deux époux. En conséquence, chaque preneur bénéficie d’un droit de préemption individuel sur le local et si plusieurs preneurs acceptent l’offre faite par le propriétaire, l’acquisition aura lieu en indivision (sauf si les preneurs sont par exemple deux époux communs en biens).

 

Il convient de préciser que le notaire n’est pas à l’initiative de la notification initiale qui incombe au propriétaire ; toutefois le notaire peut recevoir mandat par le propriétaire pour y procéder.

 

Quand la notification doit-elle intervenir ? La pratique consiste principalement en la recherche d’un acquéreur, la conclusion d’un avant-contrat suivie de la notification de l’offre au locataire. Le texte dispose néanmoins que la notification doit avoir lieu dès lors que le vendeur « envisage » de vendre, c’est-à-dire avant toute démarche pour trouver un acquéreur. La Cour de cassation a opiné en ce sens dans l‘arrêt de 2018 précité.

 

La Cour de cassation a néanmoins admis que le propriétaire pouvait valablement mandater une agence immobilière, faire procéder à des visites du bien avant qu’une offre soit notifiée au locataire (Cass. 3ème civ., 23 septembre 2021, n°20-17.799). Dans ce même arrêt, elle a validé la conclusion d’une promesse unilatérale de vente conclue sous la condition suspensive du non-exercice du droit de préemption du locataire, dont la notification avait été adressée quelques jours avant la conclusion. La jurisprudence ne s’est toutefois pas encore prononcée pour savoir si une promesse de vente, qu’elle soit unilatérale ou synallagmatique, conclue sous la condition suspensive du non-exercice du droit de préemption du locataire pouvait être régularisée avec un tiers alors que la notification n’a pas encore été adressée au locataire.

 

Le locataire bénéficie d’un délai d’un mois à compter de la réception de l’offre pour notifier au propriétaire son acceptation ou son refus de l’offre. Si le locataire ne répond pas au propriétaire dans le délai d’un mois, son silence vaut refus de l’offre de vente et le propriétaire est par conséquent libre de proposer son bien à la vente. Si le locataire accepte la proposition du propriétaire, les parties disposent de deux mois pour régulariser la vente. Toutefois, si le locataire précise, dans l’acceptation de l’offre de vente, qu’il entend recourir à un prêt pour financer son acquisition, le délai de régularisation de la vente est alors porté à quatre mois et l’exécution de la vente est conditionnée à l’obtention par le locataire d’un prêt dans ce délai.

 

Que se passe-t-il si, une fois l’offre initiale refusée par le locataire, le propriétaire trouve acquéreur à un prix ou à des conditions plus favorables ? L’article L. 145-46-1 dispose qu’en ce cas que le notaire, titulaire d’un mandat légal, doit notifier à nouveau au locataire les conditions et le prix nouvellement arrêtés. La question de savoir si le locataire doit alors supporter la commission de l’agence immobilière n’a pas été tranchée, s’agissant de la substitution du locataire dans le cadre de la notification subsidiaire. Cette nouvelle notification, faite dans les mêmes formes et avec le même contenu que la précédente, vaut offre de vente au locataire qui dispose à nouveau d’un mois à compter de sa réception pour l’accepter ou la refuser. Son silence vaut refus de l’offre de vente. En cas d’acceptation, les parties ont également deux mois pour régulariser la vente, ou quatre mois si le locataire notifie au propriétaire son intention d’acquérir en ayant recours à un prêt.

 

A défaut pour les parties d’avoir régularisé l’acte dans le délai imparti, l’acceptation par le locataire de l’offre de vente sera sans effet et la vente est frappée de caducité. Les parties pourraient-elles toutefois convenir de régulariser l’acte de vente en dépit du dépassement du délai pour ce faire ? La doctrine y semble favorable notamment si le propriétaire vendeur n’était nullement engagé avec un tiers. Le notaire veillera à informer les parties des conséquences de la conclusion d’un tel acte eu égard à sa validité. En revanche, si le propriétaire vendeur était par ailleurs engagé avec un tiers, le risque identifié réside dans la contestation par le tiers de la validité de la vente l’ayant évincé. Il pourrait en outre réclamer la régularisation de la vente à son profit.  Le notaire doit aviser le propriétaire qui souhaiterait néanmoins conclure l’opération de ces risques et lui faire signer une reconnaissance de conseils donnés.

 

 



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