Retour sur les propositions adoptées en commission lors du Congrès des Notaires 2021
« Le numérique, l'Homme et le droit »
S’est tenu à Nice, du 23 au 25 septembre dernier, le 117ème Congrès des Notaires sur le thème « Le numérique, l'Homme et le droit ».
L’ensemble des propositions ont été adoptées lors des commissions. Elles visent à accompagner et sécuriser la révolution digitale pour les individus, le patrimoine et le contrat mais aussi à lutter contre l’exclusion numérique. Le but est de remettre le citoyen au cœur de la société numérique.
La transformation numérique rend les notaires plus agiles et plus réactifs mais, son évolution étant souvent plus rapide que celle de la législation, l’impact de cette transformation sur la règle de droit est alors plus importante.
Plusieurs conséquences de la digitalisation à grande vitesse sont à relever :
- Transformation des données en marchandises,
- Des populations qui n’ont toujours pas accès à internet ou n’en maîtrisent toujours pas les codes et les usages,
- Populations qui se trouvent donc marginalisées face à des tâches administratives et de la vie quotidienne complètement digitalisées...
Tout cela nécessite aujourd’hui une analyse.
Voici les propositions adoptées en commission :
Commission 1 : Protéger la personne et le citoyen dans le monde numérique
Proposition 1 – Faire de l’accès à internet un droit fondamental autonome
Il s’agit de faire de l’accès à internet un droit fondamental.
Face à des pouvoirs publics qui ont, depuis 2013, lancé la transformation numérique de l’administration et la dématérialisation de l’action publique, le citoyen devient un « cybercitoyen » face à une « e-administration » impactant numériquement tous les aspects de la vie sociale.
Malgré cela, le droit d’accéder à internet n’est pas à ce jour un droit fondamental autonome, alors que L’Etat promeut une société numérique ouverte, fiable et protectrice des droits des citoyens et dit garantir à tous l’accès aux opportunités liées au numérique.
Proposition 2 – Rendre insaisissables les outils permettant de se connecter à internet
Il est proposé une modification du Code des procédures civiles d’exécution, et ainsi ajouté à la liste de la partie réglementaire un 8°, pour rendre insaisissables du débiteur saisi et de sa famille, les biens suivants : les ordinateurs, tablettes ou ordiphones permettant une connexion à internet.
Le numérique est omniprésent dans tous les aspects de nos vies : l’accès à la santé, la consultation et la gestion des opérations bancaires en ligne, télétravail…, le tout accessible et réalisable en ligne et/ou via une application dédiée. Les outils numériques tels que la tablette, l’ordinateur ou le téléphone, permettent la connexion à internet et donc d’effectuer toutes ces démarches. Elles favorisent ainsi une insertion minimale de l’individu dans une société ultra connectée.
Ils rentreraient ainsi dans le cadre des biens mobiliers nécessaires à la vie sociale dématérialisée et au travail du saisi et de sa famille qui ne peuvent être saisis.
Proposition 3 – Accompagner les personnes vulnérables protégées dans le monde numérique
- Permettre aux personnes faisant l’objet d’une protection juridique d’accéder le plus longtemps possible au numérique
Il est proposé d’adapter le Code civil en créant un nouvel article relatif à l’accès au numérique par les personnes protégées. Le numérique et le recours à internet sont indispensables dans notre vie quotidienne, notre vie professionnelle, et dans notre vie de citoyen. Néanmoins, son usage n’est pas sans danger, et ce notamment lorsque l’usager se trouve en situation de vulnérabilité.
La personne en charge de la mesure de protection juridique doit alors se soucier de l’usage qui en est fait par le majeur protégé, et l’empêcher de s’exposer à des risques, sans avoir la possibilité de la déconnecter de manière arbitraire.
La possibilité de déconnexion doit donc être laissée au conseil de famille ou au juge qui pourront restreindre l’accès pour motifs justes.
- Aligner le droit à l'effacement des données des majeurs protégés sur les règles protégeant les mineurs
Il s’agit de modifier la loi informatique et libertés, à l’effet d’élargir aux majeurs protégés les dispositions particulières au droit à l’effacement des mineurs.
Le droit à l’effacement n’est envisagé par le RGPD (règlement général sur la protection des données) et la loi Informatique et Libertés que pour le cas particulier de l’usager mineur au moment de la collecte des données.
L‘usage du numérique par les majeurs protégés peut devenir excessif et doit par conséquent bénéficier de la même protection que celle accordée aux mineurs.
- Créer un multi-accès aux comptes administratifs en ligne des majeurs protégés et graduer les droits à ces accès.
Il est proposé que les services administratifs en ligne offrent systématiquement la possibilité d’un multi-accès aux comptes des majeurs protégés avec la possibilité de graduer les droits de chacun à ces accès.
Que la personne soit protégée ou non, l’accès aux services, formalités ou consultations administratives qui doivent se faire en ligne, est établi au nom du titulaire du compte. Le majeur protégé est donc le seul destinataire des éléments de connexion, ce qui peut être source de difficulté pour la personne en charge de la mesure de protection, qui a nécessairement besoin de ces accès afin d’exercer sa mission. Il n’est pas possible de se faire identifier en tant que protecteur, la personne se « fait passer » alors pour le majeur, qui peut toujours avoir accès à son dossier, et donc effectuer sur ses comptes diverses modifications.
Il serait donc opportun de créer un accès spécifique à la personne en charge de la protection par la mise en place d’un système multi-accès.
Proposition 4 – Clarifier le devenir des données personnelles après la mort biologique
Il est proposé de réécrire certains articles de la loi Informatique et Libertés et un article du Code de procédure civile, afin de pallier aux nombreuses imprécisions et imperfections que contient la loi, qui organise le sort des données personnelles en cas de décès.
Le texte suppose que le défunt ait donné de son vivant des directives concernant l’effacement, la conservation et la communication des données personnelles, ce qui reste rare en pratique. Le décret d’application qui devait déterminer le tiers de confiance, auprès duquel pourraient être enregistrées les directives générales dans un registre, n’est toujours pas paru. La notion d’héritiers pouvant recevoir communication des biens ou données numériques, ni la mention « souvenirs de famille » n’ont pas non plus été définies.
Proposition 5 – Délivrer une identité et une signature numériques au titulaire de la carte nationale d'identité électronique (CNIe) afin d'en optimiser l'usage
- Incrémenter un certificat d'identité électronique dans la CNIe
Il s’agit d’étendre la portée de la CNIe à l’identité numérique, en ouvrant techniquement l’incrémentation des certificats d’identité de niveau élevé et en la qualifiant juridiquement de schéma d’identification selon les critères du règlement eIDAS.
Face à des services numériques en ligne qui supposent une identification à distance de l’utilisateur, sans qu’aucun contrôle ne soit effectué, par exemple la création d’une adresse e-mail, le risque d’usurpation d’identité est réel.
D’autres demandes au moment de la création de compte, la transmission de scan ou photos de documents personnels telle que la CNI, qui n’est pas sans risque.
Il serait donc sécurisant d’étendre l’usage de la CNIe à l’identification numérique, et permettre ainsi de s’identifier à distance avec facilité et de sécuriser la signature de documents, sans avoir à transmettre d’informations et de documents personnels à des opérateurs tiers. L’usage de la CNIe est déjà en test dans quelques départements (utilise le matériel électronique nécessaire à l’incrémentation de certificats numériques).
- Incrémenter un certificat de signature dans la CNIe
Il est également proposé en complément de l'incrémentation d'un certificat d'identification élevé, l'incrémentation de certificats de signature, dont un certificat de signature qualifiée.
Face à la multiplication des signatures à distance, souvent simples parfois avancées, et nécessitant le plus souvent d’être qualifiées, l’incrémentation de certificats de signature sur la CNIe, dont un certificat de signature qualifiée, contribuerait à une simplification de l’usage des signatures électroniques. Ce système sécuriserait le contrôle d’identité du signataire tout en allégeant son usage et son coût.
Commission 2 : Valoriser et transmettre le patrimoine dans le monde numérique
Proposition 1 – Pour un formalisme simplifié du testament par acte public
Il s’agit de supprimer l’obligation de recours à un second notaire et à deux témoins, s’agissant des testaments authentiques et donc de modifier les articles du Code civil et la loi, relatifs à ce formalisme.
Face à des règles de réception inflexibles, lors de l’établissement d’un testament authentique, les justiciables sont souvent découragés et ont recours aux testaments olographes, souvent mal rédigés et qui alimentent de nombreux procès. Les règles de réception mériteraient d’être revues et modifiées via la suppression de la présence des témoins dont la présence met à mal le secret professionnel et celle de la réception par deux notaires. Le notaire est le rédacteur impartial de la volonté des personnes et le garant de la sécurité contractuelle, il est à même de leur faire connaître toutes les conséquences juridiques de leurs vœux testamentaires, et ce quel que soit leur mode d’expression.
Proposition 2 – Pour une adaptation raisonnée du formalisme du testament « privé »
Il est proposé de compléter et de modifier les articles du Code civil relatifs au dépôt, et à la forme de certains testaments afin que soit intégré un nouveau formalisme et une nouvelle expression de volonté.
Ainsi, serait créé un cas d’exception à l’admission de principe de la forme électronique, permettant qu’en cas de circonstances exceptionnelles (attentats, catastrophes naturelles), les testaments olographes des personnes ayant usé d’outils et de supports numériques pour exprimer leurs dernières volontés soient déclarés recevables, dans un contexte qui ne permet pas l’usage des formes habituelles. Par conséquent, il conviendrait d’assouplir le formalisme testamentaire lors de situations anormales liées à un contexte exceptionnel.
Proposition 3 – Pour un acte authentique électronique augmenté
- Permettre le dépôt et la conservation au fichier centralisateur des notaires de tout type d’annexes.
- Adapter l’acte authentique électronique afin de lui permettre de s’enrichir de contenus numériques complexes constitutifs de l’accord des parties.
Il est proposé que soit initié par le CSN un projet d’évolution technologique de l’acte authentique électronique, visant notamment à augmenter la masse des données numériques admises au MICEN pour chaque acte et à permettre d’annexer différents formats de fichiers en annexe des actes authentiques électroniques.
Face à de nouvelles solutions électroniques, couplées à des avancées technologiques en matière de données, d’interface ou encore de cryptographie, divers acteurs professionnels, notamment dans le domaine de la construction, s’engagent fréquemment dans des contrats sur la base de fichiers informatiques complexes qui ne peuvent pas à ce jour être annexés aux actes authentiques électroniques. Il est donc nécessaire que certains contenus numériques, qui n’ont aucun équivalent papier, notamment des plans à des formats complexes, puissent être annexés à un acte authentique électronique et intégrer le flux déposé au MICEN.
Commission 3 : Moderniser et encadrer le contrat dans le monde numérique
Proposition 1 – Sécuriser la pratique de la signature électronique d'un contrat
- Obliger les prestataires à joindre un fichier précisant le type de signature électronique utilisé à tout document signé électroniquement
Il est proposé d’ajouter articles et textes en vue de la sécurisation de la signature électronique, et de la non-discrimination à l’égard de la signature manuscrite.
Ce procédé de signature est de plus en plus utilisé, notamment par les agences immobilières, et les notaires peuvent recevoir des actes avec procurations signées électroniquement par leurs clients.
Les notaires engagent néanmoins leur responsabilité lorsqu’il s’agit de la vérification des signatures, qui est rendue d’autant plus délicate, face à la difficulté de distinguer entre les signatures simples, avancées ou qualifiées, et face à l’impossibilité de connaître la méthode de vérification d’identité employée par le prestataire.
Le règlement européen eIDAS de 2014 qui distingue les différents niveaux de fiabilité des signatures électroniques interdit aux notaires d’imposer le recours systématique à la signature électronique qualifiée. Il convient alors de leur donner les moyens de reconnaître aisément le niveau de fiabilité et de sécurité de la signature électronique qui leur est présentée, et donc d’imposer aux prestataires de joindre un fichier de preuve à tout document signé électroniquement. Ce fichier devra préciser le type de signature électronique utilisé au sens de la règlementation eIDAS (avancée ou qualifiée), et la méthode de vérification d’identité employée pour une signature simple et avancée.
Enfin, une adaptation des textes est donc nécessaire pour reconnaître cette équivalence entre la signature électronique qualifiée et la signature manuscrite certifiée.
Proposition 2 – Intégrer dans le Code civil l’automaticité de l’exécution du smart contract
Il s’agit d’intégrer la notion de protocole informatisé et de smart contract dans le Code civil. Le smart contract ou « contrat intelligent » est un contrat qui s’exécute automatiquement par un ordinateur dans un protocole informatique facilitant, vérifiant et exécutant la négociation ou l’exécution d’un contrat. Il est nécessaire qu’il soit qualifié juridiquement pour en déduire le régime juridique, sécuriser les parties et donner au juge le moyen d’effectuer plus aisément un contrôle.
S’appuyant sur une technologie blockchain, il permet de sécuriser et de rendre infalsifiables les termes et les conditions de son exécution. Il est le moyen d’automatiser l’exécution de l’accord des parties au moyen d’un algorithme fonctionnant sur le principe suivant : « Si les conditions initialement prévues sont remplies, alors le contrat s’exécute ».
L’efficacité du protocole informatique doit permettre l’exécution pleine et entière du contrat, sans exclure des principes juridiques aussi essentiels que la bonne foi contractuelle, la sanction de la fraude ou de l’abus de droit ou encore l’interdiction des paiements et poursuites individuelles lorsque le débiteur fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité.
Proposition 3 – Étendre le champ d'application de l'acte authentique par comparution à distance à tous les actes authentiques
Il est proposé de modifier les articles relatifs aux actes établis par les notaires afin d’étendre le champ d’application des actes établis à distance.
La procuration notariée par comparution à distance autorisée durant la crise sanitaire permet à ce jour aux notaires de recevoir des procurations notariées sans la présence physique du mandant et sans la présence d’un autre notaire. Le notaire s’assure à distance que le consentement qui est délivré est libre et éclairé et que le mandant a la compréhension totale du contenu de l’acte à régulariser avec la procuration.
Pour le moment, l’acte authentique par comparution à distance est limité aux seules procurations, mais une extension à tous les actes est compatible avec le fondement de l’authenticité.
Proposition 4 – Adapter le Code civil à la révolution numérique en intégrant la notion de distanciel
Il est proposé de modifier le Code civil afin d’intégrer la notion d’acte reçu à distance.
Le « distanciel » se traduit par la possibilité de recevoir le consentement d’une partie à l’acte exprimé à distance du notaire instrumentaire, mais en présence d’un autre notaire. En raison de la crise sanitaire, il a été permis aux notaires de recevoir le consentement d’une partie à l’acte exprimé HORS la présence d’un autre notaire. Ainsi, le « distanciel » est devenu l’équivalent du « présentiel ». Il convient désormais de l’inscrire dans le Code civil.
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